L’avarie commune en transport maritime : un principe ancien au cœur des pratiques modernes

Par Youness Elayammi – 17 Octobre 2025
Dans un monde maritime de plus en plus digitalisé, dominé par les méga-navires et la course à l’efficacité, certains principes séculaires continuent de régir la relation entre armateurs et chargeurs. C’est le cas de l’avarie commune, un mécanisme juridique ancien, utilisé dès la Grèce antique, qui incarne à la fois la solidarité et la rigueur du droit maritime international.
Elle repose sur une idée simple : lorsqu’un sacrifice exceptionnel est nécessaire pour sauver le navire et sa cargaison d’un péril commun — incendie, tempête, échouement ou avarie mécanique grave — les pertes doivent être réparties entre tous les intéressés. La volonté du capitaine joue ici un rôle central : lorsqu’il décide, en connaissance de cause, de jeter une partie de la cargaison pour alléger le navire et éviter le naufrage, il agit pour le bien collectif. Si cette mesure conduit au sauvetage effectif du navire et de la majorité des marchandises, elle aboutit à un résultat heureux, et la perte subie devient alors une charge partagée selon les Règles d’York et d’Anvers, régulièrement actualisées.
Dans la pratique, une fois l’avarie commune déclarée, un expert indépendant, appelé « dispacheur », calcule et répartit les coûts entre armateur, affréteur et propriétaires des marchandises. Ces dépenses peuvent inclure les frais de remorquage, de déchargement d’urgence ou les pertes de cargaison volontairement jetée à la mer. Les destinataires des marchandises doivent fournir une garantie financière avant de récupérer leurs biens, souvent par le biais de leur assurance transport ou d’une caution.
Malgré les évolutions technologiques et la sophistication croissante de la logistique maritime, l’avarie commune reste pleinement d’actualité. L’incident du porte-conteneurs Ever Given, bloqué dans le canal de Suez en 2021, en a été une illustration frappante : l’armateur japonais Shoei Kisen Kaisha avait déclaré une avarie commune, obligeant des centaines de chargeurs à fournir des garanties avant de récupérer leurs conteneurs. Cet épisode a rappelé que la solidarité maritime ne relève pas du passé, mais reste un pilier du commerce mondial.
Pour les acteurs de la chaîne logistique – importateurs, transitaires, assureurs ou armateurs –, comprendre ces mécanismes est essentiel. L’avarie commune illustre que face aux aléas de la mer, la survie du tout repose parfois sur le sacrifice volontaire et réfléchi de quelques-uns, une pratique ancrée dans l’histoire depuis l’époque des Grecs.